Chronique : MUQATA'A "La Lisana Lah" (Souk Records)


MUQATA'A
"La Lisana Lah"
(Souk Records)

En 2017, Muqata'a, une figure emblématique de la scène électronique palestinienne, a auto-édité un EP qui allait marquer les esprits : "La Lisana Lah". Aujourd'hui, Souk Records réédite cette pièce maîtresse, offrant une nouvelle occasion d'explorer l'univers sonore unique de cet artiste visionnaire. Avec ce disque vinyle 12", Muqata'a continue de repousser les limites de la musique électronique en y intégrant des éléments de glitch, des boucles percussives du Moyen-Orient et des influences mystiques. Le résultat est une expérience auditive dense et envoûtante.

Muqata'a, basé à Ramallah, est non seulement un musicien électronique mais aussi un MC et un membre influent du groupe de performance sonore et visuelle "Tashweesh". Il est souvent décrit comme le "parrain" du hip-hop underground palestinien. Son parcours musical est riche et varié, allant de ses débuts avec le Ramallah Underground Collective à ses explorations solo, qui comprennent des albums notables comme "Inkanakuntu" (2018) et "Dubt Al-Ghubar" (2017).

"La Lisana Lah" se distingue par son intégration harmonieuse d'extraits de musique traditionnelle palestinienne avec des éléments de dub lourd et des arpèges déformés. Ce mélange innovant tisse un paysage sonore qui est à la fois familier et étrangement nouveau, transportant l'auditeur dans un voyage à travers les sons et les émotions de la Palestine contemporaine.

Le nom de Muqata'a symbolise son engagement : c'est un appel au boycott, à la perturbation et à l'ingérence, visant à être un "problème dans le système". Cette philosophie se reflète dans sa musique, où il utilise des échantillons de musique classique arabe pour rappeler l'importance de la mémoire culturelle face à l'oppression. Comme il l'a exprimé dans une interview au Guardian en 2018, "être un bug dans le système est très important. Lorsque votre patrimoine est attaqué par l’État, il faut trouver des moyens de se souvenir".

Muqata'a a commencé à faire de la musique à l'âge de 12 ans, influencé par des artistes comme Wu-Tang Clan et Mos Def. Sa première chanson en arabe, "Mamno' Al Tagawol", écrite en 2002, reflète les horreurs vécues pendant l'invasion de la Cisjordanie. Cette période traumatique a catalysé son besoin d'écrire en arabe, utilisant la musique comme un moyen de résistance et de témoignage.

Le travail de Muqata'a avec le Ramallah Underground Collective a posé les fondations de la scène hip-hop palestinienne. Le collectif a offert une plateforme aux artistes locaux, créant un mouvement vibrant et influent. Après la dissolution du collectif en 2009, Muqata'a a poursuivi son chemin en solo, développant un style musical de plus en plus expérimental et déconstructif.

Son album "Hayawan Nateq" (2013) marque une étape cruciale de sa carrière solo, intégrant des enregistrements sur le terrain et des échantillons de musique arabe classique dans une œuvre cohérente. Ses albums suivants, comme "Dabt Al Ghubar" et "La Lisana Lah", continuent cette exploration sonore, mélangeant des influences traditionnelles palestiniennes avec des sons électroniques glitchés et des paysages sonores abstraits.

La réédition de "La Lisana Lah" par Souk Records est une reconnaissance de l'importance de cet EP dans la discographie de Muqata'a et dans la scène musicale palestinienne et internationale. Ce disque est une démonstration éclatante de sa capacité à fusionner des éléments disparates pour créer une musique profondément émotive et intellectuellement stimulante.

Muqata'a ne se contente pas de créer de la musique ; il forge des connexions culturelles et historiques à travers ses compositions, utilisant son art comme un outil de résistance et de mémoire. La réédition de "La Lisana Lah" est une invitation à redécouvrir cette œuvre magistrale, à plonger dans les sons riches et texturés qu'il a méticuleusement assemblés, et à apprécier la profondeur de sa vision artistique.

En définitive, "La Lisana Lah" est une déclaration audacieuse, un témoignage de l'endurance culturelle palestinienne et un exemple brillant de la façon dont la musique peut transcender les frontières et les barrières. Avec cette réédition, Souk Records offre une nouvelle vie à une œuvre qui continue d'inspirer et de défier les auditeurs du monde entier.

Prochainement en programmation dans Solénoïde, émission des musiques imaginogènes diffusée sur 30 radios/50 antennes FM-DAB !

Liens :
muqataa.bandcamp





"Palestine Underground" : Un Voyage au Cœur de la Scène Musicale Underground Palestinienne

Dans le cadre de sa série Scènes contemporaines, Boiler Room a dévoilé en novembre 2018 un documentaire captivant intitulé "Palestine Underground". Ce film de 25 minutes, disponible sur la plateforme Boiler Room 4:3, offre une plongée immersive dans la scène musicale underground palestinienne, mettant en lumière la résilience et la créativité des artistes malgré les contraintes politiques et sociales.

Réalisé par Jess Kelly et produit par Anaïs Brémond, "Palestine Underground" suit des figures clés des collectifs techno et hip-hop palestiniens, dont MUQATA’A, un acteur emblématique de cette scène. Le documentaire se concentre sur une semaine intense en amont de la première soirée Boiler Room à Ramallah en juin 2018. Il capture les défis rencontrés par les artistes palestiniens, notamment les restrictions de déplacement imposées par le gouvernement israélien et le couvre-feu de minuit décrété par les autorités palestiniennes.

Le film met en lumière le Jazar Crew, un collectif musical et artistique palestinien basé à Haïfa, dans le nord d'Israël. Ce collectif a traversé le mur de séparation pour se rendre à Ramallah, en Cisjordanie, où ils ont collaboré avec des artistes locaux tels que Sama' Abdulhadi, Saleb Wahad, Bltnm et Oddz. Ces événements ont non seulement permis de renforcer les liens entre les scènes musicales de Haïfa et Ramallah, mais ont aussi servi de moyen de résistance culturelle contre les obstacles politiques.

"Palestine Underground" explore comment, malgré les restrictions sévères, une scène musicale dynamique et festive s'est épanouie grâce à l'Internet et à la détermination des artistes. En documentant les préparatifs et les performances lors de la Boiler Room à Ramallah, le film célèbre la passion et l'innovation des DJ, des producteurs et des rappeurs palestiniens qui continuent de créer et de partager leur art en dépit des difficultés.

Pour ceux qui souhaitent découvrir cette scène vibrante et inspirante, le set Boiler Room Palestine, programmé par Debora Ipekel, est également disponible sur YouTube. "Palestine Underground" est un témoignage poignant de la manière dont la musique peut transcender les frontières et unir des communautés à travers un son et une identité partagés.

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